L’Algérie, l’armée et les manifs

Par : El Mostafa NAZIH
Au moment où la pression de la rue s’accentue en Algérie, le système en place résiste encore au changement, cherche à gagner du temps, mais sa gestion de la crise est à l’épreuve ; et pour cause : les manifestations populaires perdurent depuis le 22 février dernier. Qu’elles soient toujours pacifiques, cela est réconfortant et témoigne de la maturité de la société algérienne et de la prise de conscience des manifestants dont une majorité écrasante de jeunes, des deux sexes. Comment éviter, cependant, que la situation ne dégénère ?
Une bonne partie des détenteurs du pouvoir, depuis l’indépendance du pays en 1962, et ses symboles sont décriés. Le système politique et économique est contesté. Les gens continent à manifester de plus en plus nombreux dans les rues, chaque vendredi, premier jour du week-end, pour le changement de ce système, avec ses symboles, la démission de l’ex-président Abdelaziz Bouteflika n’ayant pas eu pour effet d’apaiser la situation puisque selon les slogans des manifestants c’est l’ère Bouteflika qui est ciblée et c’est tout un système qui est mis en question.
Plus encore les manifestants réclament le départ du pouvoir des trois « B » désignés par Bouteflika qui sont respectivement Abdelkader Bensalah, président par intérim, Noureddine Bedoui, premier ministre, et Tayeb Belaiz, président du Conseil constitutionnel ; ce dernier ayant démissionné le 16 avril.
Les manifestants aspirent plus à l’avènement d’une deuxième république moderne, qui soit celle de l’espoir. On ne gère pas les problématiques de demain par la génération d’hier.
Cependant, s’interrogent certains observateurs, l’armée permettra-t-elle les conditions de l’alternative démocratique tant réclamée ?
En effet, depuis le 22 février 2019, date du déclenchement des manifestations, le chef d’Etat-major de l’Armée, le général de corps d’armée, Ahmed Gaïd Salah, s’est positionné en première ligne avec des sorties médiatiques qui s’inscrivent dans le cadre d’une tentative de gestion de la crise. D’abord en commençant par des menaces puis l’évocation de l’étranger et, récemment, l’alignement sur le mouvement de contestation en affirmant que l’armée est aux côtés du peuple, tout en usant, le 26 mars, de l’article 102 de la Constitution algérienne pour la destitution du président sortant. Pour insister encore davantage sur le facteur « étranger », il a évoqué le 18 avril, dans un discours, « de grandes puissances » et la « déstabilisation », réitérant le soutien de l’armée à ce mouvement populaire.
-Chronologie…
Le plus dur reste à faire, après –chronologiquement- le renoncement le 11 mars au projet du 5-ème mandat de Bouteflika, la démission le même jour du gouvernement Ouyahia, et la nomination toujours le 11 mars du premier ministre Noureddine Bedoui et du vice-premier ministre, ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra, ainsi que la nomination le 31 mars d’un nouveau gouvernement sans Lamamra mais, curieusement, avec Gaïd Salah, la démission le 2 avril de Bouteflika et la nomination le 9 avril d’Abdelkader Bensaleh, président par intérim, lors d’une séance parlementaire boycottée par les partis d’opposition.
Ainsi, les évènements se précipitent en Algérie.
Comme on vient de le rappeler, le président du Conseil constitutionnel, chargé de superviser les élections présidentielles, a démissionné le 16 avril ce qui laisse le pays dans l’impasse. En outre, un grand nombre de magistrats ont manifesté le 13 avril devant le ministère de la justice pour exprimer leur refus de superviser ces élections prévues le 4 juillet prochain. Plusieurs maires leur ont également emboîté le pas en annonçant le 14 avril leur refus d’encadrer ce scrutin.
Jusque-là, le général Gaïd Salah s’est placé au-devant de la scène dans la gestion de la situation. Jusqu’où cette gestion par le général, âgé de 79 ans, appartenant à la génération de Bouteflika et détenant le record de longévité à la tête de l’état-major de l’armée algérienne -depuis 2004- mènera-t-elle ? Seul le futur le dira, dans un pays où l’opposition n’avait pas les conditions adéquates pour mieux s’organiser et avait de la peine à mobiliser encore plus.
…et Repères
En Algérie, le multipartisme tardif, lié à la décennie noire, n’a pu évoluer dans de meilleures conditions politiques. Pendant longtemps, il ne faisait pas partie des priorités au même titre que la réforme constitutionnelle et l’alternance politique pour succéder au pouvoir, en vue d’entamer un processus démocratique.
La question de savoir qui décide vraiment à Alger était d’actualité. Il était inimaginable de voir l’armée loin du champ politique. Mais après -au moins- les limogeages, en ce mois d’avril, de hauts responsables sécuritaires, il semble qu’il n’y a pas lieu de se la poser encore.
S’il est, toutefois, vrai que la grande muette était toujours aux commandes, de manière ou d’une autre depuis l’indépendance du pays, les conditions ont à coup sûr changé et elle devra lâcher du lest, l’ère et l’heure des opportunités/défis des réseaux sociaux obligent !