Migrations : Quelle condition de l’immigré en période de récession économique en Espagne ?

Par : Mohamed BOUNDI (Madrid)*
La médiatisation de l’immigration en Espagne est de plus en plus réduite en l’image du sans-papiers, de l’africain et du travailleur non désiré. Bien qu’il existe de nombreuses approches sur la manière de concevoir la question migratoire, généralement ouvertes sur une culture plurielle, les contradictions sont malheureusement plus palpables sur le marché du travail et au niveau des relations professionnelles Immigré-Employeur.
Le débat dans les cercles sociaux, politiques et professionnels s’incline vers une tendance plus favorable à l’analyse de la condition de l’immigré en période de récession économique. S’il est actuellement admis dans les différents travaux de recherche que l’immigration n’est pas la cause principale des problèmes dont souffre l’économie espagnole, il est aussi légitime d’affirmer que l’emploi des immigrés se justifiait, avant le déclenchement d’une crise, par la préoccupation de réduire le coût de production dans certains secteurs, tel que celui du bâtiment. Il est aussi logique de s’interroger sur l’attitude qu’adopte un entrepreneur espagnol lors du recrutement, par exemple, d’un immigré africain.
Cette question invite à déterminer le statut de cette catégorie d’immigrés. D’abord, il s’agit généralement d’un travailleur en situation légale qui provient de la rive sud de la Méditerranée ou de l’Afrique subsaharienne. Ensuite, à la différence des autres collectifs de travailleurs venant de l’Europe de l’Est et de l’Amérique du Sud, les africains (maghrébins et subsahariens surtout) sont porteurs de valeurs culturelles spécifiques qui, malheureusement, se transforment en potentielles barrières à l’heure de vouloir accéder au marché du travail en Espagne.
Sans tomber dans l‘exaltation nationaliste, l’africain, qu’il soit arabe ou subsaharien, symbolise une culture différente. Dans ce contexte, ni les attraits physiques, ni la religion ni l’ethnie ne doivent être pris comme facteurs décisifs pour exclure l’africain des opportunités d’emploi qui s’offrent sur le marché de l’emploi.
Comme tout entrepreneur dans le monde des affaires, l’espagnol agit en tant que régulateur de situations délicates au sein de son entreprise, dont le strict respect des normes de travail en dépit du haut taux de chômage. D’après de nombreuses études, y compris les baromètres de l’Institut Espagnol de la Statistique (INE), l’immigration n’a eu aucune incidence ni sur l’augmentation du chômage ni sur l’effondrement des salaires des autochtones. Face à la politique migratoire restrictive, l’Espagne serait confrontée dans trente ans à de sérieux problèmes démographiques comme conséquence du vieillissement de la population et des premières générations d’immigrés. Dans ce cas, l’entrepreneur serait amené à recourir à d’autres alternatives plus coûteuses en quête d’une main d’œuvre qualifiée. Il devrait ainsi investir une grande part des bénéfices de son entreprise dans la formation d’immigrés jeunes dans leur propre pays en prévision de leur engagement sur des conditions plus avantageuses mais avec plus de droits garantis par le biais de conventions bilatérales entre Etats.
Recourir à une discrimination professionnelle en période de crise pour des motifs de race ou de confession incite, en réalité, à l’exclusion sociale de l’immigré et à la marginalisation des membres de sa famille (en termes de santé, d’éducation et de loisirs). D’autant plus, surgit des circonstances de favoritisme larvé lorsque l’entrepreneur opte pour le recrutement de la main d’œuvre étrangère in situ au pays d’origine. Au lieu d’employer des résidents africains en Espagne, il recourt au recrutement sélectif de parents et amis de travailleurs en activité dans sa propre entreprise (au pays d’accueil). Ceci rend encore plus délicate la situation des travailleurs immigrés en quête d’un emploi et chômeurs chroniques.
Dans un autre niveau de réflexion, la délicate situation des immigrés africains sur le marché du travail est analysée selon la doctrine des droits humains et à travers la revendication du principe « même salaire pour le même emploi » afin de garantir l’égalité salariale. La finalité d’une telle revendication est d’éradiquer les conduites arbitraires et discriminatoires au sein de l’entreprise pour motifs d’affiliation familiale, d’origine ethnique ou de confession de l’étranger.
D’après des travaux sociologiques, l’embauche des immigrés non qualifiés a peu d’incidence sur la masse salariale des autochtones. « Le catalogue des activités de difficile couverture », réservées exclusivement aux autochtones, accorde, par exemple, un faible quota aux immigrés. Certains gouvernements régionaux recourent très souvent à une discrimination positive en faisant appel aux cadres étrangers hautement qualifiés pour couvrir les postes vacants (administration publique, santé publique, enseignement, recherche scientifique surtout). Cette circonstance intervient comme conséquence de la fuite des cerveaux autochtones vers d’autres pays depuis l’enclenchement de la crise économique en 2007-2008. C’est aussi pour pallier la pénurie de hauts cadres et travailleurs qualifiés dans certains domaines sensibles, comme la santé publique, les services municipaux, les grands travaux, etc. Dans ces conditions, l’immigré afro-maghrébin est mieux préparé pour s’intégrer au marché du travail à condition qu’il soit traité au pied d’égalité que les autochtones et les autres collectifs d’étrangers.
(*Mohamed BOUNDI est sociologue, président du Cercle de Recherche sur l’Immigration, le Développement et la Coopération à Madrid).