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La Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi remet son rapport à Emmanuel Macron

La commission d’historiens, présidée par Vincent Duclert (1), mise en place en 2019 pour examiner les responsabilités de la France dans la politique menée au Rwanda entre 1990 et 1994, notamment sur le génocide des Tutsi en 1994, a remis son rapport à Emmanuel Macron le 26 mars 2021. Elle conclut à « un ensemble de responsabilités, lourdes et accablantes », au sein de l’État français. Voici des extraits des conclusions de ce rapport de 1225 pages, annexes compris (2).

Extraits choisis par Nour-Eddine NAZIH (Paris)

« Une interrogation, qui justifie l’entreprise scientifique collective de la commission de recherche et qu’il est nécessaire de rappeler, a ouvert ce rapport. Comment expliquer la contradiction entre les espoirs de démocratisation et de règlement négocié du conflit qui marquent les années 1990-1993 au Rwanda et la catastrophe absolue que représente le génocide perpétré contre les Tutsi en 1994 ? Lorsqu’en octobre 1990, la France s’engage au Rwanda, elle affiche l’ambition d’oeuvrer à la démocratisation du pays, conformément aux orientations dessinées par le président François Mitterrand au sommet franco-africain de La Baule (juin 1990). Elle favorise ensuite la conclusion d’accords de paix entre le gouvernement rwandais et le Front patriotique rwandais (FPR). Le 4 août 1993, sont signés les accords d’Arusha en vertu desquels les casques bleus de l’ONU prennent le relais de la présence militaire française. Quelques mois plus tard, le 7 avril 1994, le Rwanda bascule dans un génocide. Les Tutsi de ce pays sont exterminés, ainsi que les Hutus modérés, ce qui conduit à la disparition de près d’un million de personnes. Cette catastrophe projette sur le continent africain le fait génocidaire. (…) » Page 966.

« La crise rwandaise s’achève en désastre pour le Rwanda, en défaite pour la France. La France est-elle pour autant complice du génocide des Tutsi ? Si l’on entend par là une volonté de s’associer à l’entreprise génocidaire, rien dans les archives consultées ne vient le démontrer. La France s’est néanmoins longuement investie au côté d’un régime qui encourageait des massacres racistes. Elle est demeurée aveugle face à la préparation d’un génocide par les éléments les plus radicaux de ce régime. Elle a adopté un schéma binaire opposant d’une part l’ami hutu incarné par le président Habyarimana, et de l’autre l’ennemi qualifié d’« ougando-tutsi » pour désigner le Front patriotique rwandais (FPR). Au moment du génocide, elle a tardé à rompre avec le gouvernement intérimaire qui le réalisait et a continué à placer la menace du FPR au sommet de ses préoccupations. Elle a réagi tardivement avec l’opération « Turquoise », qui a permis de sauver de nombreuses vies mais non celles de la très grande majorité des Tutsi du Rwanda, exterminés dès les premières semaines du génocide. La recherche établit donc un ensemble de responsabilités, lourdes et accablantes. (…) » Page 972.

« L’opération Amaryllis, et surtout les témoignages des ressortissants français et occidentaux évacués du Rwanda, suscitent à la fois un intérêt bien plus grand de l’opinion publique française pour le drame rwandais, et une incarnation bien plus sensible des atrocités en cours depuis le matin du 7 avril. (…) » Page 385.

« Certes, le nombre de Tutsi encore menacés fin juin, extraits de situations dangereuses et sauvés, se compte en milliers, mais la France, longtemps aveugle devant la réalité du génocide, est intervenue trop tard pour des centaines de milliers d’autres ». (…) » Page 611.

« Ces responsabilités sont politiques dans la mesure où les autorités françaises ont fait preuve d’un aveuglement continu dans leur soutien à un régime raciste, corrompu et violent, pourtant conçu comme un laboratoire d’une nouvelle politique française en Afrique introduite par le discours de La Baule [Le 20 juin 1990, le président François Mitterrand prononce le discours de La Baule devant les représentants de 37 pays africains, assurant ceux-ci du soutien de la France, mais conditionnant ce soutien à une démocratisation des régimes politiques]. » Page 973.

« La responsabilité morale se porte vers la volonté des personnes et des sociétés de penser et d’agir selon les fins de l’humanité. Les valeurs universelles sont profondément questionnées lorsque l’on est devant la préparation ou la réalisation d’un génocide. (…) » Page 975.

« Comment savoir, comment agir ? C’est « la grande question ! », répond un officier conscient des événements. Que faire en tant que diplomate, militaire, coopérant, journaliste, face aux premiers massacres génocidaires comme ceux-ci l’ont vécu lors de l’opération « Amaryllis », quand des personnes survivent et d’autres agonisent ? (…) » Page 976.

« Les archives montrent que les autorités françaises n’ont jamais envisagé sérieusement de procéder à des arrestations. Elles se sont plutôt efforcées de convaincre les membres du gouvernement intérimaire de quitter la Zone humanitaire sûre. (…) » Page 631.

« Dans cette faillite d’une histoire française émergent des individualités politiques et administratives, civiles et militaires, qui ont fait honneur au service de l’Etat, à la République, à l’éthique. Elles ont défendu la lucidité dans l’action, maintenu la liberté dans la pensée, et espéré la venue d’un temps de nécessaire examen critique du passé. Elles ont permis que des institutions tiennent dans la tempête. Affronter le passé en acceptant les faits de vérité qu’il transmet est la seule voie pour se libérer des traumatismes et des blessures. Les enseignements de l’histoire ne doivent pas être combattus, ils permettent au contraire la paix et le souvenir, ils redonnent de l’honneur et de la dignité quand vient ce temps de la conscience, de la connaissance de toute la réalité du monde. La réalité fut celle d’un génocide, précipitant les Tutsi dans la destruction et la terreur. Nous ne les oublierons jamais. . . (…) » Page 976.

  • (1) Vincent Duclert est historien, professeur associé à Sciences Po, chercheur titulaire à l’EHESS, spécialiste de la IIIè République et du concept de génocide.
  • (2) Ce rapport (Éditions Armand Colin) est disponible en PDF sur le site : https://www.vie-publique.fr

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