« Nos ancêtres les Arabes, ce que notre langue leur doit ». Un livre décapant !
Alors que si peu de mots gaulois ont survécu, n’en déplaise aux tenants du « roman national », l’arabe représente la troisième grande langue d’emprunt du français, après l’anglais et l’italien. La langue arabe offre à la langue française force mots, sans que personne ne s’en doute. De la tasse de « café à l’orangeade », de la « jupe de coton » au « gilet de satin », de « l’algèbre » et les »algorithmes » à la « chimie » ou aux « amalgames », des mots à propos de la faune, de la flore, des arts, des parfums, des bijoux, de l’habitat, des transports ou de la guerre, les francophones emploient chaque jour des mots empruntés à l’arabe. Jean Pruvost s’est livré à une exploration réjouissante de cette langue véhiculée par les croisades, les conquêtes arabes, les échanges commerciaux en Méditerranée, et plus près de nous par la colonisation, l’arrivée des pieds noirs, l’immigration maghrébine ou encore dans les cités ou le Rap dont les textes en font largement des emprunts. Nos ancêtres les Arabes. Ce que le français doit à la langue arabe Jean Pruvost, Édition J-C Lattès, 2017. ISBN 978-2-7096-5941-3. Pp. 300. est un formidable et passionnant voyage au cœur de l’Histoire et de la langue.
Par Nour-Eddine NAZIH (Paris)
Publié en 2017, ce livre n’a pas laissé indifférent, salué comme « un ouvrage instructif » et « un livre d’utilité publique » par les historiens, lexicologues et autres universitaires, irritant, de par son titre d’abord, pour les intransigeants de « nos ancêtres les gaulois ». Mohamed Larbi Bouguera Chimiste, Universitaire et auteur de plusieurs livres scientifiques. , dans un long article écrit : « Jean Pruvost est l’auteur de plusieurs dictionnaires et en possède 10000 ! Il y a cependant fort à parier que cet excellent livre n’enthousiasmera guère les colonialistes attardés, les fascistes de tout poil et les islamophobes (…) Jean Pruvost lui, a la passion du partage. «
Concernant les emprunts de la langue française à l’arabe, il y a eu d’autres publications, cependant, « Nos ancêtres les arabes » de Jean Pruvost est une référence solide, documents d’historien de la langue française, la seule publication historique et lexicologique à notre connaissance, concernant l’idée (le fait ?) que « le français est une langue constituée de nombre d’emprunts, dont il est bon de connaître l’histoire et qu’il ne faut pas mépriser. ».
De plus, organisé en thématique, c’est un livre qu’on ne lit pas d’un seul trait, mais on s’immerge dans un thème et on revient à un autre plus tard. On le garde à portée, lorsqu’on se demande qu’elle est l’origine du mot que l’on vient d’entendre… Parce que la Langue est, et reste un sujet et un enjeu, culturel, social, civilisationnel… Parce que, comme le suggère Franz Kafka , « on ne devrait lire que les livres qui nous piquent et nous mordent. Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ? «
Jean Pruvost observe que « l’on évoque toujours nos ancêtres les Gaulois, et on a tendance à considérer que c’est le début de la langue française. Mais au final, la langue française, au départ, ce sont une centaine de mots gaulois, 80% de mots latins et puis le germanique. Ensuite, on commence à emprunter… Et c’est là qu’arrive la langue arabe, avec des mots du commerce et des mots savants. Les influences italiennes et anglaises n’arriveront qu’après ». « Les apports ont commencé à l’époque des croisades. Mais l’influence arabe s’est exercée via Cordoue à l’époque de l’Espagne musulmane au Moyen Age », poursuit l’auteur.
Donc, la langue Arabe arrive en Gaule, comme le signale Ernest Lavisse dans son ouvrage, Histoire de France et notions d’histoire générale (1920), cité par Jean Pruvost. On y trouve le chapitre « Les Arabes et la civilisation arabe » et cette conclusion : « La civilisation arabe (…) avait été longtemps supérieure à celle de l’Occident. Or, d’abord en Espagne, puis en Orient même, lors des croisades, (…) les Occidentaux connurent cette civilisation arabe. Les emprunts qu’ils lui firent contribuèrent au lent réveil de la civilisation européenne. »
Par la suite, avec l’apparition de nouveaux produits et de nouvelles cultures, l’arrivée de mots, vocabulaire du corps et des parfums mais aussi celui des pierres précieuses, des oiseaux, de la l’astronomie, de la flore, de la marine, de la musique, des guerres… Parmi eux , on trouve, « abricot », « jasmin », « lilas », « artichaut », « jupe », « coton », « gilet », « satin », « gourbi », « nouba », « couscous », « merguez », « méchoui « , « gabelle », « matelas », « hardes », « nuque », « aubergines », « tambour »…
Il n’y en a bézef des mots à l’origine arabe ! Des épinards à l’estragon, une mousseline, un sorbet arrosé de sirop, en buvant de la limonade ou une orangeade, pour finir avec un café, sans sucre, et un alcool et… le fameux nénuphar : de ninufar… Pourquoi donc nous être encombrés d’un ph ? Et Jean Pruvost de citer une exclamation d’un personnage du dessinateur Siné en 1990, en plein débat sur l’ortograf’ : « Nénufar avec un f, ah les phumiers ! ». Alors, un p’tit caoua !
Depuis les années 1990, le rap est aussi un véhicule de mots d’origine arabe . Les groupes français, issus des banlieues et composés notamment d’enfants d’immigrés, dans leurs textes font des emprunts à la langue de leurs familles. On trouve ainsi toutes sortes de mots et d’expressions d’origine arabe.
Autant d’éléments, conclue Jean Pruvost, qui montrent que « le français est une langue constituée de nombre d’emprunts, dont il est bon de connaître l’histoire et qu’il ne faut pas mépriser. Une histoire qui n’est pas finie : de manière continue, la langue arabe poursuit son imprégnation dans la langue française, (…) il n’y a aucun domaine non investi ».