Société

Lutte contre le « racisme systémique » : l’ONU exhorte des pays, dont la France, à prendre des “mesures immédiates”

Le rapport demandé par le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU met en lumière un racisme systémique et qui appelle à “des mesures solides” pour mettre fin à l’impunité. Michelle Bachelet, Haute-commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme, constate que si une prise de conscience a vu le jour dernièrement, de nombreux progrès restent à faire. Les Etats doivent prendre des “mesures immédiates” contre le “racisme systémique” dont sont victimes les Noirs, ainsi que d’autres communautés minoritaires.

Par Nour-Eddine NAZIH (Paris)

Dans certains pays, on reconnaît désormais plus largement le caractère systémique du racisme dont sont victimes les Africains et les personnes d’ascendance africaine, ainsi que la nécessité de réexaminer le passé afin de garantir des conditions de vie futures favorisant le respect de la dignité et des droits de tous. Il est de notre devoir collectif de nous occuper de ces questions, immédiatement et partout dans le monde“, indique le rapport.

Seules les approches qui s’attaquent à la fois aux lacunes endémiques des forces de l’ordre et au racisme systémique – et à ses origines – rendront justice à la mémoire de George Floyd et de tant d’autres dont la vie a été perdue ou irrémédiablement affectée“, a déclaré Michelle Bachelet, Haute-commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme lors de la publication du rapport demandé par le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, en référence à l’Afro-Américain devenu le symbole des victimes des violences policières et raciales aux Etats-Unis après son meurtre le 25 mai 2020. “Il existe aujourd’hui une possibilité d’importance capitale de marquer un tournant pour l’égalité et la justice raciales ” (et) “remédier à la culture du déni” souligne encore ce rapport.

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L’analyse est basée sur des consultations en ligne avec plus de 340 individus majoritairement d’ascendance africaine et plus de 110 contributions écrites. Ce rapport a également reçu plus de 100 contributions d’États et d’autres parties prenantes, et a fait l’objet de consultations en ligne avec plus de 340 universitaires, organismes de défense des droits de l’homme, organisations de la société civile dirigées par des personnes d’ascendance africaine, et proches de personnes d’ascendance africaine tuées par des agents des forces de l’ordre.

Il révèle différents domaines dans lesquels les morts par violences policières ont le plus de risques d’arriver :

  • intervention de la police sur délits mineurs et perquisitions et fouilles de véhicules ;
  • intervention de police sur crises mentales, et ;
  • opérations de lutte contre les stupéfiants et les gangs.

Le rapport dénombre aussi 190 morts de personnes de couleurs dans le monde qui sont liées à des violences policières et cite alors l’exemple d’Adama Traoré, mort en juillet 2016 après son interpellation par des policiers en France parmi ces cas représentatifs.

Pour les cas passés en revue, l’analyse a indiqué que les victimes ne posaient pas de menaces suffisantes à justifier un usage excessif de la force.

Le rapport souligne aussi qu’à la suite de la mort de leur proche, les familles des victimes se sentaient “continuellement trahies par le système” et ont rencontrés des difficultés similaires pour traduire les responsables en justice.

Le rapport relève que le racisme conditionne “les interactions des personnes africaines avec les représentants de la loi et le système de justice pénale“. Lorsqu’elles existent, les données à cet égard sont “inquiétantes“, estime le Haut-commissariat aux droits de l’Homme, évoquant par exemple le Royaume-Uni où sur une année (d’avril 2019 à mars 2020), on a constaté 6 interpellations avec fouille pour 1000 personnes banches contre 54 pour 1000 personnes noires. En France, un rapport de 2016 du Défenseur des droits, Jacques Toubon, établissait que les jeunes noirs ou maghrébins avaient 20 fois plus de chances d’être soumis à des contrôles d’identité et fouilles que les autres.

Le racisme systémique fonctionne comme un ensemble de normes racisées, et il est présent dans toutes les données existantes. La manière dont le racisme systémique se manifeste dans nos sociétés à l’échelle mondiale est endémique et toxique“, a déclaré Dominique Day, présidente du Groupe de travail d’experts sur les personnes d’ascendance africaine.

Le racisme systémique est une question transversale, a ajouté Dominique Day. Il est présent dans le domaine des soins de santé, où des médecins reconnaissent moins de maladies et de douleurs selon la race. Il est présent dans l’éducation, où les enfants d’ascendance africaine sont généralement dissuadés de suivre un enseignement supérieur et voient leurs attentes réduites, a-t-elle poursuivi.

Les manifestations du racisme systémique sont donc présentes partout, malgré la très forte tendance mondiale à nier le caractère systématique de ce phénomène très fréquent“, a-t-elle expliqué.

Selon le rapport, l’élimination du racisme systémique nécessiterait, entre autres mesures, de réformer les institutions, la législation, les politiques et les pratiques, qui peuvent être discriminatoires dans leurs résultats et leurs effets. Il exhorte les États à adopter “une approche systémique de la lutte contre la discrimination raciale” grâce à des mesures mobilisant l’ensemble des pouvoirs publics et de la société, énoncées dans des plans d’action nationaux et régionaux détaillés et dotés de ressources suffisantes, et des mesures spéciales pour les groupes défavorisés. “Les États doivent aussi se montrer courageux”.

Le rapport souligne également la nécessité de recueillir, publier et analyser des données ventilées selon la race et l’origine ethnique, de manière à mieux comprendre l’ampleur du racisme systémique et à contrôler l’efficacité des mesures stratégiques.

La Haute-Commissaire des Nations-Unies aux droits de l’Homme, Michelle Bachelet, exhorte plusieurs États, dont la France, à “recueillir et publier des données complètes ventilées selon la race ou l’origine ethnique, ainsi que selon le sexe et d’autres facteurs, dans le respect de garanties strictes et du droit international des droits de l’homme“.

Or, en France, le recours aux statistiques ethniques est strictement encadré et ne peut pas être mobilisé dans le cadre d’études sur la mesure de la diversité, cette recommandation relance un vieux débat connu pour diviser la classe politique française, ces statistiques marquent une ligne rouge.

D’un point de vue purement législatif, loi 78-17 du 6 janvier 1978, dite loi Informatique et Libertés interdit le recueil de données ayant trait à “la prétendue origine raciale ou origine ethnique” d’une personne.

Mais en 2007, le Conseil constitutionnel a autorisé “les traitements nécessaires à la conduite d’études sur la mesure de la diversité des origines à partir de données objectives et subjectives”. Ainsi, l’enquête INSEED-INED Trajectoires et origines (TeO) de 2008 interrogeait sur la nationalité et le lieu de naissance des parents. Le deuxième volet, prévu pour 2022, interrogera 26.500 personnes sur leurs grands-parents afin d’étudier comment les origines ethniques peuvent impacter les trajectoires des troisièmes générations. On observe les origines nationales, mais pas l’appartenance ethno-raciale”, affirme le démographe Patrick Simon. “L’enquête TeO nous apprend des choses sur les parcours des descendants d’immigrés mais ne permet pas d’avoir un levier d’action pour évaluer et agir contre les discriminations dans les entreprises, dans l’accès au logement, dans l’éducation ou dans l’accès à la santé”, assure-t-il.

Pour Hervé Le Bras, démographe à l’INED, “les statistiques ethniques ne s’inscriraient donc pas dans la tradition française, basée sur une citoyenneté indivisible“. Et pour sa part, Gilles Clavreul, ancien délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, estime que les “statistiques ethniques est un euphémisme, il s’agirait en réalité de statistiques raciales (…) Adopter une logique fondée sur la couleur de peau serait lourd de dangers“.

Quant à Emmanuel Macron, il ne souhaite pas ouvrir “à ce stade” le débat sur les statistiques ethniques qui interroge au sein même du gouvernement. Il a coupé court, préférant “de l’action, plutôt que de nouvelles réflexions” .

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