Le bien-être des aînés, une affaire de tous
« Le bien-être des aînés nous interpelle tous », déclare Mohamed Redouane, écrivain et journaliste spécialisé dans les questions de la vieillesse et les retraites, directeur de publication du bimensuel Saout Al Moutakaid, dans une interview accordée au Magazine BAB de l’agence marocaine de presse (MAP) du mois de novembre.
Le Maroc connaît depuis quelques années un élargissement de la population âgée de plus de 60 ans ; phénomène qui concerne désormais tous les pays et le nôtre ne fait pas exception, indique Mohamed Redouane dans cette interview, réalisée par Noureddine Hassani, soutenant que le vieillissement de la population – qui s’explique par l’évolution de la dynamique démographique – constitue l’un des grands défis auxquels l’humanité doit faire face au cours des prochaines décennies aux côtés des défis environnementaux, alimentaires et sécuritaires. « Les changements démographiques auront des impacts profonds sur de nombreuses sociétés y compris la nôtre ».
« Un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle »
Concernant les principales préoccupations des personnes âgées, aujourd’hui, au Maroc, M. Redouane rappelle, d’abord, qu’« un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle », manière d’exprimer l’intérêt de tirer profit de l’expérience et de l’expertise des retraités, car « un senior peut incarner une richesse immatérielle inestimable dont la société peut bénéficier », la personne âgée accumulant d’importantes connaissances dans des domaines considérés comme clés, tels que les métiers d’artisanat, dont certains disparaissent suite à des décès. Il rappelle, ensuite, dans ce cadre, l’initiative lancée par Saout Al Moutakaid ; celle d’offre de compétences et d’expertise de gens parmi les retraités et les seniors qui veulent améliorer leur pension ou leurs revenus, et en retour faire bénéficier les autres du savoir-faire qu’ils ont accumulé pendant de longues années de travail. Une initiative dont l’écho était « retentissant », dit-il, « puisqu’un grand nombre de retraités marocains nous ont écrit pour proposer leurs services, ce qui montre à quel point la situation financière est fragile pour la plupart des retraités marocains ».
Revenant à la question des principales préoccupations des personnes âgées, il relève que « certainement, l’augmentation du nombre de seniors au Maroc, sur fond des mutations économiques et sociales actuelles, soulève des questions et des problèmes qui font partie de leurs préoccupations quotidiennes », dont « le fait qu’un grand nombre d’entre eux ne bénéficient pas de pensions, ni de soins de santé ou de services sociaux, et souffrent de précarité et de pauvreté, et sombrent dans l’isolement et la dépression, ce qui leur cause des problèmes de santé physiques et psychologiques ».
La santé revient sur le tapis
« Les questions de la santé sont parmi les problèmes les plus courants posés par l’accès à l’âge de vieillisse », souligne-t-il, du fait que « les personnes âgées en souffrent en raison du déclin avec l’âge des capacités physiques et mentales ». Et « pour y faire face », Mohamed Redouane soutient qu’« il faudrait mettre en place des programmes de formation de médecins spécialisés en gériatrie, d’assistantes sociales, fournir des moyens d’appui et faciliter l’accès aux services de santé au profit de cette tranche vulnérable » ; le vieillissement étant « un phénomène souvent associé à une fragilité et à des risques d’incapacité fonctionnelle du corps ou de certains de ses membres, et, parfois, à de faibles capacités mentales, ainsi qu’à la propagation de maladies chroniques, dont beaucoup sont liées à l’avancée en âge, tels que le diabète, l’hypertension et les maladies cardiovasculaires, une situation qui nécessite davantage d’investissements publics et privés dans les services et les soins de santé ». Et puisqu’il y a les « groupes les plus vulnérables à la maladie, à l’invalidité, au handicap et aux conditions de vie précaires », il est nécessaire « de réfléchir et planifier de manière proactive à ce changement démographique à venir pour créer un environnement sûr pour une partie importante de la population ».
M. Redouane souligne, en outre, dans ce contexte, qu’« il convient d’attirer l’attention sur un défi grave et coûteux associé au vieillissement, en l’occurrence la prévalence grandissante de la maladie d’Alzheimer, souvent associé à la prise de l’âge ». Il indique, à ce sujet, qu’« une étude de référence sur le fardeau mondial de cette maladie, publiée en janvier 2022 par une équipe de chercheurs dans la revue scientifique The Lancet a estimé que l’incidence de cette maladie au Maroc devrait croître de 266% entre 2019 et 2050, passant d’environ 225 mille à plus de 826 mille personnes atteintes de démence, ce qui nécessite de réfléchir à la création de structures de soins de santé destinées aux besoins de cette catégorie de patients ».
A la question sur le traitement réservé par les pouvoirs publics à cette « hypertrophie »de la structure des personnes âgées dans la pyramide démographique au Maroc qui a de nombreuses implications pour les politiques publiques, M. Redouane estime qu’« en général, les pouvoirs publics n’ont pas accordé à cette question l’attention qu’elle mérite dans leurs politiques publiques, avec un intérêt, un soutien et des efforts conséquents qui pourrait aller de pair avec le vieillissement accru de la population. Certes, il existe une prise de conscience de cette situation au niveau de l’Etat, qui s’incarne dans la mise en œuvre des chantiers de la généralisation de couverture médicale et des projets d’extension du système de retraite et du revenu de la dignité, mais il y a encore un manque en matière d’élaboration de politiques, de cadres et de structures intégrés qui répondent aux défis posés par ces mutations démographiques qui engendrent de nouveaux besoins ».
Quant aux systèmes de retraites et la réforme qui s’impose en relation avec le vieillissement, M. Redouane relève que les retraités au Maroc se plaignent principalement de l’insuffisance de « la pension, considérant qu’un grand nombre d’entre eux perçoivent des pensions faibles qui constituent un pourcentage minime du montant des salaires qu’ils percevaient durant leurs années d’activité, et cette différence est plus ou moins importante selon les caisses de retraites ». Il relève également, à ce propos, que « nombre d’entre eux se retrouvent face à des problèmes de santé, tandis que d’autres continuent à subvenir aux besoins de leurs enfants ».
Pour la réforme, il indique que, « selon les experts, le vieillissement et le nombre croissant de personnes âgées entraînent une pression financière sur les caisses de retraite dont la pérennité est déjà remise en question, ce qui a poussé le gouvernement à aller de l’avant dans la réforme des régimes de retraite selon une optique prenant en compte les enjeux financiers et les transformations sociales ».
M. Redouane, pense, par ailleurs, que « le revenu de la dignité promis par le gouvernement aux personnes âgées nécessiteuses est une initiative très positive qui contribuera, tant soit peu, à alléger le fardeau dont pâtit cette catégorie sociale ».